lundi 7 mars 2011

Pour commencer...

Dimanche 6 Mars 2011. 23h35. Je me décide enfin à créer un blog, ce journal perso des temps modernes, qui me permettra de coucher sur le papier tout ce qui me passera dans la tête, et surtout tout ce que je ressens depuis des mois, et même des années... Le thème ? L'implant cochléaire.

Je vous avoue que pas plus tard que mercredi dernier, je n'y pensais pas réellement. J'avais, certes, essayé à une époque pas si lointaine que ça de me renseigner, d'avoir des témoignages, d'obtenir des avis médicaux et de prendre la température sur la technologie elle-même. Mais franchement ça ne me parlais pas du tout. D'un naturel prudent, je me focalisais uniquement sur les risques encourus par l'implant cochléaire : l'opération chirurgicale elle-même, la destruction complète et non réversible de l'oreille interne et surtout la peur d'en obtenir des bénéfices nuls, voire pire par rapport aux traditionnels contours d'oreilles.

Mais voilà, mercredi dernier il y a eu un déclic. LE déclic, serais-je tenté de dire. Si bien que pendant toute cette semaine, j'ai été véritablement hanté par l'implant cochléaire...

Mercredi dernier, donc, j'ai été chez l'ORL. Une visite de routine. Ça faisait plusieurs mois que je sentais que mon audition avait baissé d'un cran, et l'audiogramme ne s'y ai pas trompé : je culmine maintenant à -115 dB à l'oreille gauche, et - 110 dB à droite. Ça fait quand même beaucoup... Depuis ma naissance j'ai dû perdre une trentaine de décibels et ça ne semble pas vouloir s'arrêter, comme si l'objectif de mes nerfs auditifs était d'atteindre les 120 dB, qui correspondent au silence total. L'ORL me reparle alors de l'implant cochléaire et me dit que je dois commencer à y réfléchir sérieusement. Il ne croyait pas si bien le dire...

Ma surdité n'a pas été un long fleuve si tranquille que ça. Je n'ai jamais su d'où elle venait précisément, et surtout quand. Si j'en crois mon carnet de santé, je percevais bien les sons dès la coupure du cordon ombilical. Puis les observations classiques : enfant normal, développement normal, blabla... Jusqu'à l'âge de 2 ans, qui est à priori une date charnière puisque j'ai contracté les oreillons, qui m'ont donné des énormes boules sous la gorge. A ce moment-là, on ne sait pas si je suis devenu sourd, et je crois qu'on ne le soupçonnais même pas. Il a fallu attendre mes 4 ans pour se rendre compte que j'étais un peu dur d'oreille. Mes parents m'avaient emmené chez un éminent ORL à Lyon, et le verdict tombe : surdité profonde, 80% de perte à gauche et à droite. Les aigus et les graves s'en sortent mieux que les médiums (= voix). L'ORL recommande à mes parents de très vite m'appareiller et de squatter l'emploi du temps d'un orthophoniste à Valence (là où j'habitais). Il nota que j'avais une jolie voix, ce que ma mère ne comprenait pas trop : "Ben oui, comme tous les enfants, non ?".

Le RDV chez l'orthophoniste fut donc pris. D'emblée, elle recommanda à mes parents de m'oraliser d'urgence au détriment de l'apprentissage de la Langue des Signes Française (LSF). Il faut dire que je ne parlais toujours pas et que je passais mon temps à gazouiller, à crier, à hurler, tout simplement à essayer de communiquer et de me faire comprendre... L'oralisation débute tardivement mais ce n'est pourtant pas faute de n'avoir rien soupçonné pendant la période 2 - 4 ans. Mes parents ont bien fini par se douter de quelque chose concernant mon audition mais les faux-positifs ont vraiment été nombreux : je me retournais quand ma mère me parlait dans le dos (elle a une voix naturelle très forte), je réagissais lorsqu'ils faisaient tomber une fourchette sur le carrelage (= bruit aigu) ou faisaient vibrer le diapason (= bruit aigu). Je réagissais même quand ils me parlaient en face puisque apparemment je lisais déjà sur les lèvres ! Autant de situations qui n'ont fait qu'induire en erreur mes parents...

Quant à la décision de l'orthophoniste, il faut se replacer dans le contexte de l'époque. Nous sommes en 1986, l'interdiction de la LSF "vient" tout juste d'être levée (suite au congrès de Milan), j'ai une famille complètement entendante et surtout, il n'y avait quasiment aucune structure (cours, écoles, associations) pour les sourds à Valence. Difficile donc pour moi d'envisager un avenir rempli de LSF et de culture sourde... Toutefois, je fréquentais effectivement une école dotée d'une classe spéciale pour sourds (on était que trois...) et je faisais plusieurs fois par semaine le trajet entre cette école et mon école primaire habituelle. Les souvenirs de cette période sont flous, mais globalement j'étais plus ou moins intégré avec les autres camarades. Je me souviens seulement qu'on se moquait de moi, non pas parce que j'avais des appareils mais parce que j'avais un cartable (hideux, quand j'y repense) aux couleurs militaires...

Pendant ce temps-là, je multipliais les aller-retours chez l'orthophoniste, à raison de deux séances de trois-quart d'heure par semaine. Ça me gonflais vraiment, au point de simuler des maux de ventre, de tête et j'en passe... J'entend encore mon père me dire "Si tu es malade, tu restes au lit". Mais je ne voulais PAS rester au lit, sinon à quoi bon !? Avec du recul, je me rend compte du travail inouï de cette orthophoniste : en trois ans de séances, vers l'âge de 7 ans, j'avais une voix quasi-normale, au point d'avoir "le meilleur accent de la classe" aux cours d'allemand dans lesquelles ma mère m'y avait inscrit... Mais pas de secret, même après 17 ans de cours, c'est plus facile d'aller en Allemagne que d'aligner une phrase en allemand...

Vers l'âge de 10 ans, après être passé au collège non sans difficultés, je poursuivais toujours les cours de soutien. J'allais un petit peu moins souvent chez l'orthophoniste, mais en l’occurrence, une autre dame venait directement au collège, deux fois par jour entre 13 et 14h. On bûchait essentiellement sur le français et les dictées. C'était d'un passionnant...

Pendant ce temps-là, je vivais ma petite vie chez mes parents à Bourg-les-Valence (à côté de Valence). J'avais quelques amis, j'étais invité aux anniversaires, aux fêtes, et j'en invitais régulièrement chez moi. J'étais à priori assez bien intégré parmi les entendants qui m'entouraient et je ne réalisais pas trop les difficultés que j'avais pour suivre les conversations. Avec mes longs cheveux qui camouflaient mes appareils et ma voix devenue normale, ma surdité était quasi-imperceptible. les gens ne s'en rendaient pas du tout compte. Et cela me portera vraiment préjudice, contrairement à ce qu'on pourrait penser... Tout le monde pensait que j'étais un peu dur d'oreille ou que je faisais semblant (véridique), ils se focalisaient alors moins sur les efforts à faire (articulation, parler bien fort...). Cette attitude que prennent les gens face à cette invisibilité du handicap me poursuit encore aujourd'hui, dans des proportions grandissantes. A la fin du film L'étrange histoire de Benjamin Button, le héros a l'apparence d'un jeune de 20 ans avec le corps d'un vieillard de 80 ans. Je vis la même situation : je donne constamment, constamment l'impression de bien entendre, alors que derrière, toute la mécanique devient inopérante...

Par la suite, au lycée, les choses ont vraiment commencé à se compliquer. Non pas que les discussions se raréfiaient, mais j'étais de plus en plus noyé et isolé. C'est sans doute pour ça que je me suis réfugié derrière mon PC, à utiliser MSN et à passer mon temps sur les jeux de stratégie en ligne. J'ai fini par me constituer une sorte de deuxième famille virtuelle, avec des gens que je ne connaissais pas personnellement mais qui partageait les mêmes passions que moi. Deux fois par an, on se retrouvait tous à Paris pour faire un réseau local géant où on s'adonnait toujours au même jeu. Mais la réalité me rattrapait systématiquement au moment de ces retrouvailles, et je devenais toujours très discret quand les autres joueurs riaient au milieu d'un verre...

Après avoir passé le bac in-extremis, je me suis dirigé vers un BTS Informatique de Gestion. Passé de geek oblige (et père informaticien oblige), il s'agira probablement de ma meilleure période scolaire. Devenu incollable sur l'informatique, j'arrivais souvent à m'intégrer parmi les autres et à participer aux discussions, qui avaient donc souvent pour thème l'info. Voulant continuer les études, j'ai ensuite déménagé à Limoges pour suivre une école d'ingénieur en informatique. Là encore, mes connaissances m'ont plus ou moins facilité les choses. Mais tout ne fut pas si rose que ça... A partir de la deuxième année (en 2005), ce n'était plus du tout possible de suivre les cours en amphithéâtre, et même en salle de TP. Je passais donc clairement mon temps à recopier sur le voisin ou à réclamer des polycopiés.

Voici quelques situations concrètes de mon quotidien :

- Lorsqu'il y a du bruit (au restaurant, au MacDo, au supermarché, dans la rue, lorsque d'autres personnes parlent, à la pause lorsque j'étais encore étudiant), c'est très difficile de comprendre une phrase, avec ou sans lecture labiale. Langue des signes quasi-obligatoire. Si le bruit se prolonge, je deviens excessivement fatigué au bout de quelques dizaines de minutes.

- En voiture, impossible de discuter si je conduis. Si ma chérie conduit et que je suis placé à côté, discussion en LSF. Le cas échéant, je regarde le paysage défiler.

- Dans le pénombre ou le noir, discussion impossible, évidemment. J'ai fini par fuir les longues soirées d'été qui se terminent dans la nuit, car il fait chaud et tout le monde est dehors.

- Lorsqu'il y a plusieurs personnes qui parlent en groupe. Avec deux personnes, cela passe encore. A partir de trois personnes, ça devient autrement plus compliqué. La compréhension est souvent impossible sur la longueur, même avec lecture labiale. Les résumés de conversation ne suffisent pas à tout saisir, et c'est souvent cinq minutes de conversation résumée en une phrase. J'esquisse souvent un sourire en guise de réponse. Je m'efforce de rire quand tout le monde rit, même si je sais pas pourquoi. Car si l'on répète une blague, l'effet est passé, et je n'aime pas spécialement rire tout seul devant tout le monde une fois la blague comprise. Là encore, je deviens inexorablement fatigué au bout d'un certain temps, et souvent je m'éclipse jusqu'à attendre la fin de la soirée. Quand je m'ennuie sévèrement, je fais comprendre à ma chérie (quand elle est là) de partir d'ici, souvent avec un pincement au coeur car je la prive du coup de discussion.

- Au restaurant, n'en parlons même pas... S'il y a plus d'une personne, c'est un calvaire jusqu'à la fin du repas.

- Au téléphone, c'est évidemment impossible, et je passe par mes parents ou ma chérie pour passer des coups de fil.

- Au boulot, je reste souvent perché à mon PC toute la journée. Comme la salle est spacieuse, ça discute souvent d'un bout à l'autre. Avec le temps j'ai fini par me refermer derrière mon PC et à écouter de la musique toute la journée. Je me lève parfois pour présenter un travail ou aider un collègue. Tout passe par MSN, même pour un collègue assis en face de mon bureau. Ça revient presque à être coupé du monde le temps d'une journée, qui deviennent très longues.

- A la télévision, le sous-titrage est activé en permanence, sinon c'est l'incompréhension totale. Heureusement les diffuseurs ont fait pas mal de progrès  en matière de sous-titrage depuis les 5 ans de la loi de Février 2005 sur l'accessibilité du handicap.

- Au cinéma, je ne peux seulement me contenter que de films en VO, donc souvent non-français. Malheureusement l'offre de films en VO à Limoges est famélique. Un nouveau cinéma (à l'Ester) technologiquement à la pointe a été érigé il y a peu, mais il n'y a aucun film en VO. Sans doute pour des raisons d'argent, comme souvent avec l'accessibilité.

- Au cours de tennis, pour peu que le prof soit un peu éloigné de moi (2 mètres ou plus), je suis incapable de comprendre un mot sur l'exercice qu'il explique. Je demande souvent d'expliquer à nouveau.

- Seul point relativement positif, l'écoute de la musique, que j'arrive bien à percevoir. Cela s'explique par la forme de mon audiogramme, qui pointe à -70dB pour les graves extrêmes (et -110dB de moyenne pour le reste des fréquences). Mais là encore, la distance fait beaucoup varier les résultats. Si je me déplace de quelques mètres, ça devient inaudible. J'attend les résultats de l'implant pour pouvoir enfin de remettre au piano.

Tout le problème de la surdité vient de son invisibilité et des conséquences (désastreuses) sur la vie sociale. J'espère que l'implant pourra rétablir un semblant d’intelligibilité. J'ouvre ce blog pour témoigner sur mon parcours de (futur) implanté, sur les différentes aides techniques, sur d'autres témoignages que j'ai lu et, bien sûr, sur mon propre ressenti et sur les émotions que je vivrais, joies comme déceptions. Cela me paraît inévitable, mais je risque d'être déçu, notamment au début de l'implantation. A chaque fois que j'ai changé d'appareil auditif (tous les 5-6 ans), j'en ressortais un peu déçu. Avec leurs publicités limites mensongères qui promettent systématiquement monts et merveilles, les fabricants ne m'ont pas facilité pas les choses, ce qui m'oblige à rester prudent. En ce moment, je suis partagé entre euphorie et septicisme. Euphorie car je vais bientôt passer de l'acoustique à l'électrique, et que ça chamboulera forcément ma façon d'entendre et de percevoir le monde sonore. Scepticisme au cas où les résultats ne seraient pas à la hauteur...

Une affaire à suivre, donc...


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